Cancer : la France triste leader
Article d'Éliane Patriarca paru dans Libération du 20/06/2014
L’hypothèse des perturbateurs endocriniens est la plus vraisemblable.
En France, on apprécie généralement les palmarès. Il est pourtant un titre soigneusement passé sous silence : la France est devenue le premier pays au monde pour l’incidence des cancers hormono-dépendants - sein et prostate - et des cancers masculins, selon le Centre international de recherche contre le cancer (Circ). Des données publiées en décembre sur le site Globocan de l’Organisation mondiale de la santé et sur lesquelles le Réseau Environnement Santé (RES) a mis la lumière, mardi à Paris. Une réalité anxiogène, d’autant qu’aujourd’hui rares sont les familles françaises épargnées par
le cancer.
«Le plan cancer de la France reste muet sur cette réalité, et l’exposition aux perturbateurs endocriniens, qui est pourtant la principale hypothèse d’explication, n’y est même pas mentionnée !» déplore André Cicolella, toxicologue, qui préside le Réseau Environnement Santé. Comment expliquer qu’un pays industrialisé comme le Japon recense moitié moins de cancers que la France, que la Grèce compte quatre fois moins de cancers hormono-dépendants et Oman six fois moins ? Les scientifiques et associations regroupés au sein du RES dénoncent un «déni» des autorités qui retarde la recherche de solutions et la prévention. «Les facteurs généralement avancés pour expliquer la survenue des cancers sont insuffisants», explique André Cicolella.
Le dépistage qui serait meilleur en France ? «Pour le cancer du sein, le taux de dépistage est de 52% en France, très loin des pays scandinaves comme la Suède où il est de 80%.» Le vieillissement de la population ? «Les données du Circ sont standardisées, ce qui élimine le facteur âge.» Le tabac, l’alcool et la sédentarité, toujours invoqués par l’Institut national du cancer ? «Réducteur et daté», estime André Cicolella, pour qui c’est «l’environnement, au sens large, de l’alimentation à la pollution de l’air, qui doit être pris en compte. La crise sanitaire, qui se manifeste par une épidémie mondiale de maladies chroniques, du cancer au diabète ou aux maladies cardiovasculaires et une baisse générale de la fertilité, fait partie de la crise écologique».
Les preuves scientifiques s’accumulent qui démontrent l’implication des perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques comme le bisphénol-A ou les phtalates, capables d’interférer avec notre système hormonal, dans les cancers, mais aussi dans le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, les troubles de la reproduction ou du comportement.
Et, pourtant, la contamination de la population est encore peu étudiée. Le RES appelle à développer la recherche sur le sujet et se félicite de l’engagement de la nouvelle ministre de l’Ecologie. Le 29 avril, Ségolène Royal a adopté une «stratégie nationale face aux perturbateurs endocriniens» et, le 12 juin, elle a fédéré sur ce thème cinq pays : l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Pologne, la Suède. De quoi faire bloc face à la Commission européenne. Bruxelles qui s’était engagée en décembre à adopter une définition réglementaire de cette famille de molécules, fait preuve depuis d’une grande inertie. Or une définition communautaire est l’étape indispensable pour envisager une interdiction de ces substances.